Réussir ses ruptures

Il y a quelques mois, le « Carnet du jour » de Libération inaugurait une rubrique intitulée « Séparation ». Un homme prévenait « avec tristesse de sa séparation d’avec son épouse ». Cet homme explique que, puisqu’il a annoncé par voie de presse ses fiançailles et son mariage, il trouve normal d’informer aussi de la suite. Serait-ce la naissance de nouveaux rituels pour se séparer en douceur ? Pas sûr, l’épouse en question n’ayant pas été mise au courant de cette « publicité ».

Il pourrait donc s’agir d’un règlement de comptes supplémentaire ! N’y aurait-il aucun moyen d’échapper à la constatation de Proust : « Il est infiniment rare qu’on se quitte bien car si on était bien, on ne se quitterait pas » (in Albertine disparue, A la recherche du temps perdu vol. VI Flamarrion, "GF", 2003) ? Mais si, il y en a ! En tout cas, Claire et Julien, 28 ans chacun, y croient. Pourtant, l’amorce de leur séparation a été plus que délicate. C’est en répondant par hasard au portable de son mari que Claire a compris qu’il y avait une autre femme dans sa vie. « Je n’avais rien vu venir. Et quand j’ai demandé des comptes à Julien, il m’a répondu qu’il voulait qu’on se sépare. Je suis entrée dans une colère noire, allant jusqu’à l’insulter sur son lieu de travail. Je fomentais un coup encore plus destructeur quand ma meilleure amie a osé me dire : “Est-ce que souffrir donne le droit à une vengeance aussi sordide ?” Ça m’a stoppée net. A partir de là, les pleurs ont remplacé la colère, ce qui a permis à Julien de renouer avec moi le dialogue que ma violence avait rompu. Nous avons beaucoup parlé, semaine après semaine, et finalement, c’est ce dont j’avais le plus besoin. »
Le temps, un allié

Se donner du temps est probablement la première chose à faire, parce que toute rupture est une trajectoire qui passe par une série d’affects : colère, haine, dépression, fantasmes d’abandon, etc. Gérard Tixier, psychiatre et psychanalyste, conseille d’« utiliser son intellect pour discerner les émotions qui nous submergent. La douleur est inévitable, mais il faut s’obliger à faire le tri dans ce magma pour se rendre compte que, par exemple, à la souffrance présente se mêle l’écho des souffrances de séparations anciennes, comme le divorce de ses parents ou des ruptures précédentes. Et aussi pour ne pas amalgamer le manque de l’autre et la souffrance narcissique due au fait que la rupture abîme l’image que l’on a de soi. répondreérer ce que l’on vit est la seule façon de demeurer sujet de son histoire et de n’endosser ni le rôle de la victime, ni celui du coupable. » Car tant que nous adoptons un rôle, nous sommes dans l’imaginaire, et non dans la réalité.
La parole et l’écoute

Elément essentiel pour ne pas être trop démoli : la parole, qui permet de donner du sens à ce qui a été vécu. L’idéal est évidemment de parler avec son partenaire. Mais même si l’on se heurte à son silence, il est nécessaire de faire l’état des lieux en soi pour comprendre ce que l’histoire qui finit nous a apporté. « Et si l’on n’y arrive pas tout seul, poursuit Gérard Tixier, il ne faut pas hésiter à se tourner vers un tiers : quelqu’un qui a déjà vécu ça, la famille ou un psychothérapeute. »

« La séparation d’avec mon mari a été comme la fin du monde, raconte Elise, 42 ans. J’ai pris dix kilos, je m’habillais n’importe comment, j’ai eu trois accrochages en voiture et mes enfants me voyaient tous les week-ends dans le noir, au fond de mon lit. Mon entourage était épuisé et très inquiet. Mon ex a alors organisé, avec quelques-uns de nos plus proches amis, une soirée où chacun s’est mis à établir une sorte de bilan de ce que pouvait être une rupture. Ça m’a fait un bien fou. D’abord, je me suis rendu à l’évidence : je n’étais pas une exception, tous avaient vécu des ruptures. Ils se portaient plutôt bien, et je me suis dit qu’il ne fallait pas que je prenne cette séparation comme un cataclysme, mais comme un événement – évidemment pas le plus drôle – de ma vie. Ensuite, j’ai réalisé que moins il y avait d’acharnement, plus chacun se reconstruisait facilement. A partir de là, j’ai recommencé à regarder autour de moi. »