En choisissant de scénariser la télé réalité plutôt que de filmer le vide, Secret Story a réussi en quelques saisons à devenir l'une des fictions françaises les plus efficaces, et indéniablement la meilleure création de TF1 à ce jour. Retour sur un genre hybride encore mal compris.
L'éloge du rien
En 2007, après les échecs des suites et dérivés de Loft Story - un meetic télévisé qui faisait l'éloge du rien -, Endemol débarque avec un tout nouveau concept, Secret Story. Vendue comme la "next generation" de la télé réalité, elle fait irruption sur TF1 à une période où l'on croyait la page de la télé réalité d'enfermement tournée. Les deux premières saisons de Secret Story n’auront pas grand chose d’innovant : elles développeront le concept des secrets, de La Voix, des missions, mais elles retomberont très rapidement dans les mêmes travers que Loft Story. En réalité, ce ne sont que de simples brouillons qui préparent subtilement la suite : la télé réalité d'enfermement d'auteur, qui aurait intégré les principes de la fiction.
La fiction réalité
Paradoxalement, le genre n'avait que très peu évolué en 10 ans, ayant tendance à reproduire des modèles qui ne marchent pas - ou seulement dans le court terme -, visant le plus trash ou le plus amoral, comme l'a prouvé W9 avec Dilemme. Car souvenons-nous de ce qu'était Loft Story : des candidats enfermés végétant toute la journée. La production était encore très peu intrusive - par rapport à aujourd'hui - si bien que le moindre regard de travers entre deux candidats pouvait devenir le sujet principal de la quotidienne. De l'"authenticité", mais surtout du vide. Aujourd'hui, le descendant Secret Story a beaucoup évolué, au point de devenir une fiction. Ou du moins, comme on l'appelle hypocritement parfois, une fiction-réalité.
Comme une série télé
Car Secret Story s’articule en storyline. Tout est écrit ou tout du moins pensé et l’émission a digéré l'ensemble des codes des séries télé. Il y a d'abord l'intrigue principale, le fil rouge, qui va couler sur toute la saison. En l'occurrence, il s'agit du secret de la maison qui permet, s'il est découvert par un candidat, d'être automatiquement qualifié pour la finale. Ensuite viennent les intrigues hebdomadaires, qui prennent la forme de missions. La Voix, personnage à part entière bien que peu développé pour l'instant, indique par exemple à deux candidats de faire croire à la naissance d'un amour partagé. Ces intrigues, souvent lancées lors de l'émission hebdomadaire du vendredi soir, peuvent faire l'objet de cliffhanger (un coup de théâtre), lequel arrive fréquemment en fin d'épisode et donc d'émission dans notre cas. Enfin, il y a les missions quotidiennes, plus simples mais parfois aussi plus drôles qui servent de porte d’entrée pour les nouveaux téléspectateurs. Et par-dessus toutes ces strates, il faut rajouter le processus de nomination puis d'élimination des candidats, rythmant lui aussi la vie de Secret Story.
Un scénario mal assumé
Pourtant, si cette structure narrative se rapproche plus de la fiction que d'un jeu télé, Endemol ne l'assume pas entièrement. En 2009, leur service de presse refuse de prononcer le terme "scénario" et rappelle que Secret Story n’est qu’un simple jeu où chaque candidat dispose d'un traitement égal. Mais quand un règlement s'éprouve différemment selon les candidats - sur les triches de révélations des secrets lors de la saison 3 notamment - il semble pourtant difficile de tenir un tel discours. La Voix fait ce qu’elle veut ce qui, paradoxalement, garantit l'intérêt de l'émission.
Mais les mentalités semblent évoluer. A la rentrée 2010, Laurent Storch, alors patron des programmes de TF1, félicitait le travail des "scénaristes" de télé réalité. C'était la première fois qu'en France, un responsable de chaîne reconnaissait ne serait-ce que l'existence de cette profession dans ce domaine. Ce besoin de reconnaissance était d'ailleurs, lors de la grande grève des scénaristes aux Etats-Unis début 2009, l’une des revendications principales : que les scénaristes de télé réalité soient considérés comme les scénaristes de fiction. Ils n’obtiendront pas gain de cause mais ce n’est que partie remise.
Manipulation et paranoïa
Outre les méthodes de construction du programme, les candidats occupent évidemment une place importante dans le dispositif. Et dès le casting, ils sont très fortement caractérisés à la manière de personnages de fiction. Si bien qu'il est tout à fait possible de s’attacher autant à Léo, de Secret Story 3, ou à Bastien, issu de la saison 4, qu’à Stringer Bell dans The Wire ou Patrick Jane dans The Mentalist. Secret Story peut être considérée comme la première télé réalité de genre paranoïaque où la manipulation, initiée par des mécanismes de jeux mis en place par la production, s'appuie sur la volonté des candidats de duper les autres. L’hommage au Prisonnier dans le décor de sa saison 3 n’est pas qu’un simple hasard. Pour autant, ne s'agissant pas de totale fiction, elle offre ainsi un mélange des genres passionnant qui mériterait d'être amplement plus développé.
Problème d'endurance
Certes, ces velléités expérimentales dans la relation réalité-fiction n'ont pas été totalement tenues. La saison 4 de Secret Story n'a pas su confirmer l'essai en évoluant. L'émission souffre également d'un lourd problème d'endurance puisqu'elle s'étale sur près de 4 mois. Et très généralement, la recette du jeu, ses mécanismes et l'intérêt des candidats sont déjà considérablement entamés avant les 4 dernières semaines. Il manque notamment au fil rouge de Secret Story une structure intermédiaire en volets, avec par exemple un fait marquant à la fin de chaque mois permettant de relancer la machine dans une nouvelle dynamique. Mais le plus simple reste de toute façon le raccourcissement de l'émission qui gagnerait en efficacité si elle était condensée sur deux mois uniquement.
La meilleure fiction de TF1
Pour autant, Secret Story est la première télé réalité à parvenir à ridiculiser la politique éditoriale de fiction de sa chaîne, qui ne tient tête, qualitativement parlant, à aucune chaîne privée américaine ou anglaise. Il n'est plus inconcevable d’entendre des scénaristes français déclarer qu'il s'agit de la meilleure création de TF1. Et une fois n’est pas coutume, en particulier sur TF1 spécialisée dans les adaptations de concepts étrangers ou les rediffusions de programmes US, Secret Story est une création 100% française.
Mer 24 Aoû 2011 - 1:09
