Pendant qu’aux Etats-Unis, le projet de loi Schwarzenegger, visant à restreindre l’accès des mineurs aux jeux dits violents, est en cours d’examen par la Cour Suprême, la France se pose des questions similaires, de mauvaises questions, dont la réponse apportée par le Centre de d’Analyse Stratégique s’appelle "Quelle régulation des contenus et des pratiques".
Le jeu vidéo, médium encore méconnu, provoque des inquiétudes sur lesquelles les gouvernements se sentent obligés de trancher, des peurs relayées par des a priori irrationnels et des études à la méthodologie douteuse. On désinforme, on mésinforme, alors Fluctuat a décidé de tordre le cou aux idées reçues. Parce que les jeux vidéo rendent violent.
Les jeux vidéo sont majoritairement violents
A force de voir des publicités en 4x3 pour Bad Company ou Modern Warfare, de n’entendre parler au journal que des jeux qui font grincer des dents les associations de parents, l’opinion publique à tendance à confondre les bouts émergé et immergé de l’iceberg. Cette visibilité médiatique n’est pas symptomatique développés, puisque selon les derniers chiffres, 84% des jeux édités sont classés en-dessous de 18+, et donc seulement 16% des titres sortis sont destinés aux adultes.
Si on les voit plus, c’est uniquement parce que les enjeux commerciaux sont plus grands. Il faut savoir que 62% du marché console, et 66% du marché PC sont des adultes, donc une majorité de clients se tournent vers une minorité de jeux. Ce qui entraîne cette visibilité médiatique, et fait que certains confondent popularité et population.
Par conséquent, les jeux vidéo rendent violents
Les comportements violents par mimétisme sont montrés du doigt depuis longtemps, et la bande-dessinée aussi bien que la télévision, le cinéma ont eu droit au refrain. Si le jeu vidéo est plus durement attaqué, c’est parce que le joueur est acteur de ce qui se déroule à l’écran et qu’il attise donc cette violence, qu’il s’engraine de lui-même. Ce cercle vicieux sert de fondation à de nombreuses études qui avancent qu’un jeu violent désensibilise un joueur à la souffrance de ses semblables, ou le laisse post-session dans un état d’agressivité indéniable.
Evidemment, ces études font abstraction de la concentration requise pour les FPS employés lors des tests, et des stimulations nerveuses résiduelles liées au plaisir généré par la partie. On rejoint là les raccourcis établis entre junkies et dépendants aux jeux vidéo, à partir d’une zone du cerveau qui est simplement celle du plaisir, activée entre autres pendant un rapport sexuel ou un repas.
Isolés, les informations recueillies lors des études sur les comportements agressifs de sujets exposés à un jeu violent sont pertinentes. Elles ne le sont plus vraiment quand, comme il l’a été expliqué pendant la première audience du projet de loi Schwarzenegger, on les met en face d’autres études qui remarquent que la simple image d’un pistolet, ou même un épisode de Bugs Bunny provoque la même réponse.
En fait, ces rapports contradictoires tendent à ouvrir la réflexion sur l’agressivité résiduelle, qui pourrait se manifester à partir de n’importe quel médium, tant qu’il évoque une sémantique de la violence.
Il a été par ailleurs été établi que cette réponse nerveuse était volatile. Les seuls sujets qui absorberont la violence d’un médium sur le long terme, pour ensuite la régurgiter en situation de crise, seront les personnes avec un terrain psychologique dit favorable. L’origine ne se trouve donc pas dans le médium, mais dans tout ce bagage qui a formé la psyché du sujet, c'est-à-dire sa famille, ses proches, son éducation. Encore une question complexe sur laquelle les psychologues refusent le consensus.
Ceux qui jouent lisent beaucoup moins que les autres
Les pédagogues qui avancent cet argument pensent que le temps passé sur un jeu vidéo ne peut plus être consacré à la lecture, et que le jeu vidéo est un des facteurs d’illettrisme. Effectivement, on ne peut pas lire et jouer, il faut faire un choix, mais ce constat sur la culture livresque des enfants n’est en fait que le symptôme d’un système éducatif malade. Rien qu’en France, en 1996, on estimait que 6% des élèves entrant en 6e ne savaient pas ni lire ni écrire ou bien compter.
En 2008, cette statistique est montée à 15%. Le chiffre n’est qu’une moyenne, sachant qu’en ZEP on peut atteindre les 30%. L’ennui ce n’est pas que les enfants ne lisent plus, c’est qu’ils sont de moins en moins aptes à lire, ils n’ont pas le bagage nécessaire pour s’intéresser aux livres. On stigmatise les jeux vidéo alors qu’il aura fallu des années pour que les professeurs de primaire abandonnent la redoutable méthode globale. Quand ce ne sont pas les programmes, dont les choix littéraires ont de quoi dégouter du papier, ce sont les professeurs, qui ont démissionné ou les parents qui n’assurent pas le relai une fois à la maison.
Les enfants qui savent lire, eux, ont fait leur choix de lecture, et se tournent vers les guides de jeux en ligne, les informations, le web participatif, et pour ceux qui s’intéressent aux jeux de rôle, avalent des kilomètres de dialogue. Sans oublier la proximité de la langue anglaise via le web ou le contenu textuel des jeux semi-localisés. Le jeu vidéo ne fera pas forcément ouvrir un Shakespeare, mais il n’est pas coupable du désamour des jeunes pour la littérature.
Les jeux vidéo peuvent provoquer une dépendance
Grand débat entre psychologues, le concept d’addiction au jeu vidéo, cousin du jeu compulsif, sépare les spécialistes en deux écoles. Ceux qui pensent que cette addiction est concrète et qu’on doit la soigner comme une dépendance aux drogues ou à l’alcool, provoquer un isolement comme pour le jeu compulsif. Et ceux qui considèrent que la dépendance n’est qu’une manière de combler un manque affectif et social, dont les causes naissent dans l’environnement immédiat du sujet. Le comportement du joueur n’est alors qu’un symptôme et le jeu pathologique n’est que le prolongement d’autres pathologies qui, si elles ne sont pas traitées, entraîneront une rechute. Cette seconde école considère que, puisqu’il n’y a pas de substance, c’est une habitude qu’il faut désamorcer, en comprenant son origine.
Malgré cette opposition radicale des deux perspectives, et les études soutenant après contre-analyse la validité de la deuxième, c’est surtout la première que les médias reprennent. Elle est simple, elle parle facilement au grand public. Malheureusement, elle est archaïque et conditionne la manière d’aborder le jeu vidéo, vu alors comme un passe-temps aussi potentiellement nocif.
Le processus est néanmoins autrement plus complexe, mais par fainéantise, ou refus de remettre en cause une formule qui fonctionnait très bien pour les toxicomanes, psychologues et médias choisissent la version simpliste. Dommage, l’autre hypothèse rend tellement plus limpide la dépendance des coréens et des chinois.
A long terme, les jeux vidéo rendent aveugle
Cette légende urbaine s’ancre dans les lendemains de nuit blanche, où l’on vient prendre son petit déjeuner avec des yeux de lapin atteint de myxomatose. Ces yeux injectés de sang, notre notion hasardeuse des distances et des objets, on la doit à une fatigue oculaire, musculaire, mais également à une conjonctivite. Ces gênes n’entrainent pas de conséquences à long terme, certainement pas la cécité, mais peuvent devenir chroniques quand on ne prend pas le temps de faire des pauses. En effet, quel que soit l’écran, de PC, de télé, ou de console, notre concentration fait qu’on en oublie de cligner des yeux et de les maintenir humides, de même que l’on emploie plus sa vision périphérique qu’un cheminement de regard normal.
Pourtant, ces signes extérieurs de gaming intense ont induit les parents en erreur, ainsi que certains docteurs, probablement les mêmes qui estimaient que la télé donnait le cancer.
Contre toute attente, des études ont au contraire prouvé que la coordination psychomotrice était meilleure chez ceux qui jouaient aux FPS, et que pour la plupart, la perception d’éléments sur la vision périphérique était supérieure à la moyenne.
Les enfants deviennent obèses à cause des Jeux Vidéo
La pratique du jeu vidéo, traditionnellement sédentaire, est considérée de facto comme opposée à la pratique d’une activité physique. Pire, on la soupçonne d’être un facteur d’obésité chez les jeunes, et ainsi d’accentuer les risques cardiaques à long terme. Là où les détracteurs se trompent de cible, c’est que ce n’est pas le jeu vidéo en lui-même qui favorise cette mauvaise hygiène de vie, mais le grignotage et le manque d’exercice liés à ce qu’on appelle le Screen Time/Temps devant un écran.
Chez les enfants et selon les régions, il a été estimé en moyenne à 4 heures chez les enfants et 6 heures chez les adolescents. Ces statistiques, au Canada par exemple, se doublent d’un rapport établissant qu’un enfant sur quatre était également en surpoids ou obèse. Qui plus est, 90% des enfants ne suivaient pas la recommandation gouvernementale, encourageant les jeunes à faire 90 minutes d’activité physique modérée ou soutenue par jour.
On s’aperçoit aussi, dans des études canadiennes, ou anglaises, que chez les tout-jeunes qui ne sont pas encore scolarisés, le Screen Time atteignait facilement deux heures contre la demi-heure préconisée.
Une fois toutes ces données recoupées, on constate que les enfants ne manquent pas de temps libre pour les activités physiques, c’est simplement que leurs parents ne les y poussent pas. Les vrais responsables de l’obésité ce sont les parents qui ne contrôlent pas le temps passé devant un écran, ni l’hygiène alimentaire. De mauvaises habitudes qu’ils laissent s’installer par négligence très tôt, dès les premières années, où le jeu vidéo est étranger à l’enfant.
Cette idée reçue est d’autant plus obsolète que depuis plusieurs années, et notamment depuis la Wii, l’exergaming ou jeu vidéo actif a pénétré les foyers. La console de Nintendo et d’autres dans son sillage ont trouvé comment faire du Screen Time une occasion de se lever du canapé. Ce qui ne dispense pas les parents d’embrasser leurs responsabilités et de rétablir des notions désuètes comme l’autorité et la modération.
Le jeu vidéo est un médium stérile
Comme abordé plus haut, on sait maintenant que la production totale de l’industrie ne peut se résumer à quelques shooters en treillis. Il est vrai qu’en zonant sur Facebook, on peut aussi croire que le jeu vidéo s’arrête à la culture de patates et l’échange de pandas transgéniques travestis.
Toutefois, cette expression visible suffit à convaincre les sceptiques que le jeu vidéo ne va pas plus loin. Ce serait négliger Flower, Limbo, The misadventures of PB Winterbottom, et la vivacité de toute la scène indépendante, qui s’évertue à sortir le médium de l’ornière culturelle.
Que ce soit sur le plan du game-design ou du contenu, les développeurs indépendants poussent l’expérimentation ludique plus loin que les grands éditeurs, car ils peuvent se permettre des démarches de niche, des thèmes invendables. Pour les trouver, il faut aller sur des sites spécialisés, sur des communautés de développeurs, et découvrir des jeux qu’on ne soupçonnait pas. Tout est finalement question de curiosité.
L’autre débat sur le jeu vidéo se concentre sur son potentiel en tant qu’Art. Est-ce un Art visuel, plastique, numérique ? Est-ce un artisanat qui a dépassé sa condition ? Les critiques de cinéma comme Roger Ebert doutent que le jeu vidéo puisse devenir un Art tant qu’il ne sera qu’une interaction sommaire qui n’apporte rien à l’utilisateur, qui ne l’enrichit pas ni ne provoque de questionnements.
L’industrie du cinéma n’est pas pour autant réfractaire au jeu vidéo, comme Steven Spielberg, qui a collaboré sur Boomblox et sur un autre projet abandonné depuis. Guillermo del Toro ou Sam Raimi eux aussi s’intéressent de près au médium qu’ils estiment proposer une narration active, et similaire à celle du grand écran.
A ce titre, les Machinima, films d’animation produits à partir d’un moteur de jeu, établissent un pont entre ces deux domaines, d’une manière qui amène le jeu vidéo vers l’art numérique. C’est de la même façon qu’on peut voir des installationistes concevoir des œuvres dont la base est un jeu vidéo, quand ce ne sont pas directement des développeurs qui sortent un jeu aux problématiques opaques, servis par une narration interactive.
Une partie de l’industrie vidéoludique n’est peut-être qu’une réponse à la dynamique offre-demande, mais comme la littérature, le cinéma, la musique, elle comporte en marge des laboratoires et des initiatives pionnières, qui élèvent le médium et lui accordent des expressions nouvelles. La chiptune, musique électronique à base de sons rétro, en est la progéniture la plus vivace.
La "game culture" n’existe pas
Le statut de produit culturel étant déjà contesté pour le jeu vidéo, il n’est pas surprenant de sentir une réticence quant à ce qu’on appelle la "game culture". Considérée comme une flatulence de la pop-culture, une niche de geekerie entre nostalgie et avant-gardisme numérique obscur, elle est vue comme un amas chaotique d’auto-références qui vit en vase clos.
En regardant Scott Pilgrim VS The World, ou Reign over Me, on peut noter une présence déxomplexée ou plutôt nuancée du jeu vidéo. Là où Scott Pilgrim l’intègre comme sous-culture et comme système logique de son univers, Reign over me le glisse dans une scène ou le personnage d’Adam Sandler joue à Shadow of the Colossus. Cette référence fait sens, car Sandler fait le deuil de sa famille perdue pendant l’attentat du 11 septembre, en jouant à un titre où le héros refuse le deuil de sa compagne et élimine les colosses pour la ressusciter.
Si l’on ajoute à ces deux exemples tous les autres clins d’œil qu’on peut croiser au cinéma, à la télévision, les mosaïques urbaines de Space Invaders, les Pac Man, Mario et autres mascottes qui surgissent aux endroits les plus inattendus d’une rue ou d’une exposition, la "game culture" se dessine comme une culture populaire à part entière. Même Thierry Henry ne peut s’empêcher de comparer Nicolas Anelka à Donkey Kong, pour commenter sa performance après un match.
Sans qu’on s’en soit rendu compte, elle est déjà bien implantée auprès du grand public, et cumule toutes les conditions pour être acceptée comme pop-culture : Elle parle au plus grand nombre, est référencée autant qu’auto-référencée, provient d’une sous-culture et s’est diffusée par la culture de masse ou culture commerciale. La "game culture" existe, avec des enjeux assez importants pour que les marketeux de Nintendo déposent l’expression "It’s on like Donkey Kong" en tant que marque.
Sam 18 Déc 2010 - 20:58
